Comment rater sa vie de couple à coup sûr

Griselda Ortiz arrive au boulot un nœud au cerveau et une boule au ventre. Elle souffre et elle ment.

Maria Pilar est déjà en train de faire sa pub. Il faut faire sa pub aujourd'hui, avoir des followers sur Metagram et entretenir la vitrine, la perfection de l'existence. Griselda a toujours eu le sentiment qu'à ce jeu, Maria Pilar gagnait sur tous les tableaux. Maria Pilar est mariée, elle a deux enfants surdoués et en plus, elle est blonde, une vraie blonde issue d'une mère basque et d'un père Viking. Et qu'est-ce qu'elle va nous sortir encore, ce matin ? Des vacances dans l'Himalaya ? La communion de son dernier surdoué ? Si ce n'était que ça. C'est bien pire que ça, c'est un cauchemar à cuisson lente, menaçant de bouillir et de déborder de la casserole, d'envahir la plaque électrique, de tout brûler. Maria Pilar est mariée à un homme qui chie en forme de cœur.

La salle d'attente était disproportionnée. En tout cas cela ne me choquait pas. Et cela ne semblait pas choquer les gens qui attendaient leur tour comme moi, et qui semblaient aussi réfléchir sur la banalité de leur vie.

La Compagnie est connue pour ses salles d'attente. Elle en a dans tous ses locaux et elle a des locaux partout où les gens peuvent être reçus, généralement par du personnel ordinaire de la Compagnie. Et généralement les gens ont le temps de réfléchir à tous leurs malheurs, parce qu'ils viennent souvent pour ça, parce qu'ils ont un problème. Et moi aussi j'avais un problème.

D'abord j'ai cru que le type était venu en moto à cause de la super veste Belstaff, d'un bleu froid, celle que j'avais commandé à noël à Maman. Il avait un pantalon couleur olive encore brillant, immaculé, je me demandais comment il avait fait pour échapper au moindre grain de poussière.

J'ai reconnu qu'on faisait le même boulot quand j'ai vu ses Red Wings, mais là, ce n'était pas le même registre, non. Les siennes semblaient sortie de leur boîte, pas une tache de plâtre ou de peinture. Il avait les cheveux courts et une barbe courte, faussement négligée, avec une sorte de bonnet Stetson bleu marine.

Normalement, j'aurais dû lui casser la gueule. Mais il disait ça avec une telle évidence, et aussi une sorte de détachement, que je ne pouvais pas lui casser la gueule. Son regard me pénétrais comme une langue de feu et m'enveloppait avec un baume apaisant, fait de pitié et de bienveillance. Je n'avais jamais vu un regard pareil. Il me donnait envie de m'enfuir, de quitter cette salle d'attente et de courir.

Et puis, il était costaud, je voyais bien qu'il n'allait pas se laisser faire malgré sa pitié, que la droite que je voulais lui coller n'allait pas l'empêcher de me planter la même sur le nez.