Infini et Quantité
Étude sur le concept d'Infini
en philosophie et dans les sciences

François Evellin


François Evellin (1835-1910) aura été le philosophe d'une seule œuvre, Infini et Quantité ; et bien que Bergson ait pu écrire « nous renvoyons à l'argumentation de M. Evellin, que nous tenons pour décisive » (L'Évolution créatrice, p. 311, note), elle était tombée dans l'oubli. Cet oubli est sans doute dû à la modestie d'une méthode qui, pour atteindre la précision, limite son investigation à des problèmes bien définis et qui ne peut espérer le succès des philosophes à notions incomplètes pourvoyeurs de grands récits et fourriers des idéologies.
Quel trésor pourtant que ce chef-d'œuvre de métaphysique appliquée ! Rigoureuse, la méthode métaphysique n'obtient que des résultats négatifs, mais ils sont certains. Infini et Quantité aura définitivement libéré la pensée du labyrinthe du continu en en dissipant le mirage. Le mathématicien y redécouvrira l'histoire philosophique du calcul différentiel et le sens du refus intuitionniste de l'infini actuel. Le philosophe y trouvera, outre une introduction lumineuse au problème de l'infini, une réfutation définitive des antinomies kantiennes. Le physicien théoricien y comprendra le retour contemporain à Aristote qu'impose l'hypothèse d'un espace-temps discret. Les pages qu'Evellin consacre au lieu en soi (III, II) le convaincront de la fécondité de l'approche aristotélicienne et de la possibilité de concevoir l'espace « comme nécessairement divisible en un nombre fini de parties élémentaires ».
L'analyse conceptuelle rigoureuse des notions d'Infini, de Perfection et d'Absolu permettra enfin à chacun de comprendre que si Dieu est mort, c'est parce qu'Il a été assassiné par les théologiens.

Infini et quantité

Parution : 01/02/2021

313 pages

21.59x13.97 cm

ISBN 979-8-70319-297-9

21 €

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Extraits

Introduction — Prolégomènes

Des concepts auxquels s'est de tout temps attachée la spéculation philosophique, aucun ne semble d'abord plus obscur que celui de l'infini, aucun n'a donné lieu à des analyses plus variées et à des vues plus diverses. Mais, si les systèmes qui lui doivent leur origine sont nombreux, les nuances qui les séparent, vues d'une certaine hauteur, tendent à disparaître, et les différences qui subsistent, sont, on peut le croire, bien moins dans les solutions que dans les énoncés.

La plupart des philosophes de l'antiquité firent du concept de l'infini un concept négatif. L'être, à leurs yeux, n'est véritablement digne de ce nom que s'il possède une forme arrêtée et des contours définis. Les limites qui le circonscrivent sont autant de déterminations qui le fixent, et condensent, en quelque sorte, son existence éparse.

Le père de la philosophie moderne rejeta avec éclat l'opinion traditionnelle. Aristote avait dit : « Ce qui est parfait est achevé, et ce qui est achevé a des limites. » Descartes se place résolument à un point de vue opposé, et déclare que seul l'Être infini est parfait.

Conclusion

Nous nous étions proposé l'étude analytique de deux notions étroitement liées, celle d'infini et celle de grandeur ; cette étude achevée, il ne nous reste plus qu'à en dégager quelques vues d'ensemble destinées à résumer les conclusions partielles que nous avons formulées chemin faisant, et à les mettre selon leur importance relative en leur vrai jour.

Et d'abord l'infini, étant incompatible avec la réalité, n'a, selon nous, aucune place dans les sciences de la nature, ou plus généralement dans les sciences concrètes, qu'elles se rapportent à la matière ou à l'esprit ; il n'a et ne peut avoir accès que dans cet ordre de spéculations où le possible se substitue au réel, l'idée au fait, encore, pour que son emploi y devienne légitime, doit-il se résoudre dans la seule notion intelligible qui lui corresponde, celle de l'indéterminé ou de l'indéfini.

L'infini hors de nous, l'infini considéré objectivement est impossible ; ce n'est que dans la pensée qu'il existe et d'une existence purement virtuelle, parce qu'il y représente l'excès du pouvoir sur l'acte, de la faculté qui ne s'épuise pas sur les opérations de la faculté qui s'épuisent seules.

À propos de l'auteur

François Evellin (1835-1910) fut l'un des plus pénétrants critiques de Kant en France. Normalien, agrégé de philosophie, professeur dans les lycées les plus prestigieux de France avant de devenir inspecteur général de l'Instruction publique, il consacra vingt-cinq ans de sa vie à démanteler méthodiquement les antinomies kantiennes. Élu à l'Académie des sciences morales et politiques en 1908, il exerça une influence décisive sur toute une génération de philosophes, au premier rang desquels Henri Bergson.

Ses deux ouvrages majeurs, Infini et quantité (1880) et La raison pure et les antinomies (1907), procèdent d'une même conviction : là où Kant voit des contradictions insolubles, Evellin débusque des sophismes. Sa thèse centrale renverse le criticisme kantien : l'infini ne prime pas le fini, le composé ne prime pas le simple, la nécessité ne prime pas la spontanéité. C'est au contraire le réel — fini, simple, actif — qui explique le sensible, et non l'inverse. Cette subordination de la science à la métaphysique lui permit de refonder une philosophie résolument réaliste.

Dans une langue d'une clarté rare et d'une beauté classique, Evellin rend à la raison pure sa dignité. Il refuse le scepticisme épistémologique qui, de Kant aux phénoménologies, conduisit au naufrage de la métaphysique. Son œuvre demeure l'un des sommets de la philosophie française du tournant du siècle, injustement oubliée.