Des concepts auxquels s'est de tout temps attachée la spéculation philosophique, aucun ne semble d'abord plus obscur que celui de l'infini, aucun n'a donné lieu à des analyses plus variées et à des vues plus diverses. Mais, si les systèmes qui lui doivent leur origine sont nombreux, les nuances qui les séparent, vues d'une certaine hauteur, tendent à disparaître, et les différences qui subsistent, sont, on peut le croire, bien moins dans les solutions que dans les énoncés.
La plupart des philosophes de l'antiquité firent du concept de l'infini un concept négatif. L'être, à leurs yeux, n'est véritablement digne de ce nom que s'il possède une forme arrêtée et des contours définis. Les limites qui le circonscrivent sont autant de déterminations qui le fixent, et condensent, en quelque sorte, son existence éparse.
Le père de la philosophie moderne rejeta avec éclat l'opinion traditionnelle. Aristote avait dit : « Ce qui est parfait est achevé, et ce qui est achevé a des limites. » Descartes se place résolument à un point de vue opposé, et déclare que seul l'Être infini est parfait.
Nous nous étions proposé l'étude analytique de deux notions étroitement liées, celle d'infini et celle de grandeur ; cette étude achevée, il ne nous reste plus qu'à en dégager quelques vues d'ensemble destinées à résumer les conclusions partielles que nous avons formulées chemin faisant, et à les mettre selon leur importance relative en leur vrai jour.
Et d'abord l'infini, étant incompatible avec la réalité, n'a, selon nous, aucune place dans les sciences de la nature, ou plus généralement dans les sciences concrètes, qu'elles se rapportent à la matière ou à l'esprit ; il n'a et ne peut avoir accès que dans cet ordre de spéculations où le possible se substitue au réel, l'idée au fait, encore, pour que son emploi y devienne légitime, doit-il se résoudre dans la seule notion intelligible qui lui corresponde, celle de l'indéterminé ou de l'indéfini.
L'infini hors de nous, l'infini considéré objectivement est impossible ; ce n'est que dans la pensée qu'il existe et d'une existence purement virtuelle, parce qu'il y représente l'excès du pouvoir sur l'acte, de la faculté qui ne s'épuise pas sur les opérations de la faculté qui s'épuisent seules.