Le problème que nous nous posons ici n'est rien moins que celui de savoir si la raison pure n'est pas une fonction de l'esprit divisée en elle-même et vouée sans espérance à la contradiction et à l'erreur.
On peut le craindre, car la spéculation philosophique a été et est encore le champ de bataille des systèmes. Tous s'y sont rencontrés à leur heure sans qu'aucun ait réussi à s'imposer longtemps et à prévaloir.
D'ailleurs l'antinomie existe ; c'est sans doute que, hors du sensible, la pensée est impuissante ; livrée à elle-même, elle ne peut qu'osciller entre le « pour » et le « contre », le « oui » et le « non ».
Pourtant, en dépit de ces subtils penseurs, la cause de la pensée pure ne nous paraissait pas perdue encore ; nous ne pouvions nous résigner à croire que le monde sensible fût devenu, grâce à la science, un monde d'ordre et de lumière, alors que le monde rationnel semblait condamné à demeurer pour toujours celui des obscurités et du doute.
Mesurons du regard l'espace parcouru. Nous sommes partis d'un monde livré à la contradiction et à l'anarchie, et voilà qu'après de scrupuleuses analyses les oppositions s'effacent, les idées se rapprochent et se concilient.
Que signifient, tout d'abord, ces quatre thèses opposées, dans l'antinomie, à des antithèses de nombre égal ? Est-ce un acte purement arbitraire de la pensée qui les sépare à la fois et les unit ? N'en croyons rien.
Le réel, voilà, dans la pensée humaine, le pôle positif, parce que c'est de ce point de vue que la raison veut que nous considérions les choses pour en saisir l'enchaînement et les comprendre. Au pôle opposé, il faut placer le sensible qui, groupant autour de lui les conceptions de l'entendement imaginatif, implique continuité, nécessité, relativité.
Il n'y a donc eu, si cette analyse est exacte, il n'y a, et il n'y aura jamais qu'une antinomie, celle qui, dans la nature comme dans la pensée, au dehors comme au dedans, met le réel et le sensible en perpétuelle concomitance et aussi en perpétuelle opposition.